On peut trouver le programme prévisionnel de français en pdf là :
Echanges de mails avec Marie :
Mikl :
Comme c'est la première année en français, ce sera sûrement difficile. Il ne faut pas que tu hésites à faire complètement autre chose si besoin. Le mieux, c'est que tu arrives avec plein d'idées en étant ouverte un peu à tout. Ce serait bien que tu discutes avec les professeurs avec qui tu seras pour savoir comment leur département est organisé, leurs moyens... Il s'agit du département de français à la Faculté de l'Education, mais il y en a aussi un autre, sûrement à la Faculté de Langues si ça existe. Si tu peux comprendre aussi avec quels bouquins ils travaillent, qui décide des programmes et des bouquins, qui décide de les changer... J'ai toujours douté pour ma part de la motivation réelle des profs de français. C'est important que tu te rendes compte si tu sens les gens intéressés, et par ce que tu fais, et par leur travail au quotidien. Ce que m'a dit Olady (qui sera une des participantes) sur les gens avec qui elle travaille ne me laisse pas penser qu'ils se sentent investis d'une grande mission. Olady sera certainement la plus jeune des participants. C'est une amie du projet, elle parle très bien français et elle est très sympa. Tu peux lui poser toutes les questions que tu veux, mais il est possible qu'elle ne sache pas parce que ça ne fait pas longtemps qu'elle travaille là.
Concernant ton cours. Je ne saurais trop dire sur la partie grammaire. Je ne sais pas vraiment ce qu'ils attendent et ce qu'ils savent. Les textes que tu as choisi sont peut-être un peu difficile. Le texte d'Elsa Triolet en particulier. Enfin, j'en sais rien... J'ai juste tendance à croire que ce n'est pas le genre de choses dans lesquelles ils vont rentrer facilement, qui vont leur parler. Mais peut-être. En tout cas, je ne crois pas impossible qu'ils ne voient pas du tout où tu veux en venir. Il ne faut pas oublier que les Laotiens ne lisent pas. Même les universitaires. (Bien sûr, il y en a bien quelques-uns qui doivent lire.) Par exemple, il n'y a pas, ou vraiment très peu, de littérature laotienne. Quelques contes traditionnels. J'ai la même inquiétude sur tes extraits audios. Tu veux soulever des problématiques qui sont très de chez nous ; pas forcément françaises, mais de chez nous. N'oublie pas que les Laotiens ne sont ultra pas politisés par exemple. Je ne dis pas qu'ils ne réfléchissent pas, mais par exemple le débat sur l'identité nationale va sûrement leur passer au dessus de la tête. Par contre, c'est peut-être l'occasion d'engager un dialogue culturel, je pense même que ce serait plus ça qu'il faudrait faire dans l'approche de tes "thématiques orales et civilisation". Mais il faut y aller doucement, pour les laisser s'exprimer, et puis parce que tu ne sais pas où tu vas, et quelles seront leurs réactions. Il y a peut-être des sujets qu'il vaut mieux éviter, mais tu ne le sais pas. Je ne crois pas qu'il faille essayer de leur donner du contenu de civilisation pour leurs enseignements. Le temps est trop court, non ? Je me souviens qu'à Pakse, des profs de français nous expliquaient comme c'était chiant parce que dans leurs livres de cours, ils parlaient toujours de trucs français qu'ils ne connaissaient pas. Dans un dialogue "interculturel", tu peux leur permettre de prendre place quelque part, et ça te permet aussi de te rapprocher d'eux. Plus concrètement, le pouvoir des médias, ça sera sans doute trop loin pour eux, parce que pareil, ils n'ont pas vraiment de médias... Aborder le problème des sans-abris est certainement possible, ils pourront sûrement dire quelque chose sur ce qui se passe chez eux. Pareil pour le racisme, même si je ne sais pas s'ils l'entrevoient dans les mêmes termes. Je me dis aussi que s'ils osent dire ce qu'ils pensent, tu risques d'entendre des trucs choquants. Est-ce qu'on peut parler des minorités ethniques ? Est-ce qu'ils en savent vraiment quelque chose ? Il y a un truc qui est peut-être possible aussi, c'est de parler de la place des homosexuels, des transsexuels... Ils ont certainement un point de vue très différent. Tu peux aussi penser à ce que toi tu voudrais savoir du Laos et essayer d'engager la discussion là-dessus.
Marie :
De toute façon j'arrive avec pas mal d'idées, et de quoi vraiment adapter le cours si besoin... Pour le dialogue interculturel, je ne l'ai pas précisé, mais c'était vraiment comme ça que je l'avais prévu. Je reconnais que les thématiques audio que j'ai choisi sont souvent très franco-françaises, mais je pensais que pour des profs de français, il était nécessaire d'en savoir un minimum sur le pays !!! enfin c'est peut-être naïf de ma part, mais enseigner une langue sans rien connaître de la culture, pour moi c'est une ineptie... Ceci dit, j'ai trouvé beaucoup de supports audio, ce sera facile de changer les thèmes.
Pour la grammaire, j'ai vraiment fait les bases. C'est la partie qui m'inquiète le plus parce que je ne sais vraiment rien de leur niveau et que la grammaire, c'est pas les trucs les plus folichons non plus.
Enfin, pour la partie littérature, il est assez difficile de trouver des textes vraiment très faciles, ou alors on tombe dans les livres pour enfants et je pense que c'est un peu dégradant pour des gens qui se disent profs de français. En revanche, je ne savais pas du tout qu'ils ne lisaient pas !!! Là encore pour moi il y a un fossé culturel, parce pouvoir lire les auteurs dans le texte original c'est assez génial, et je ne comprends pas non plus comment un prof de français peut se désinteresser de la littérature française.
Mikl :
Bien sur, enseigner le francais sans rien connaitre de la culture francaise ou sans s'interesser a la litterature francaise peut paraitre un peu bizarre.
Mais il y a quelque chose dont il faut se rendre compte. Si la societe laotienne et en particulier son systeme educatif sont un tant soit peu modernes, c'est essentiellement du, d'abord a la colonisation, ensuite a la mondialisation. C'est globalement les Francais qui ont structure le pays, son fonctionnement tel qu'il est aujourd'hui. Avant ca, la societe lao etait vraiment peu developpee, au sens occidental du terme. Je ne pense pas qu'il y avait une quelconque litterature ecrite par exemple, hors certainement des textes religieux. Les Francais n'ont pas cherche a developper ca, ils ont pris ce qu'ils voulaient et amene les structures francaises. Les communistes laos ont certainement voulu revenir a une education plus traditionnelle, et qui viendrait du peuple, du peuple par le peuple (apres la revolution, en 1975). Matinee d'ideaux communistes comme tronc commun, disons. Cela n'a pas marche, je ne sais pas les raisons profondes, mais de toute faon, c'aurait ete un projet bien ambitieux. En particulier, il faut se rappeler que les elites d'alors, formees par les francais, puis de facon generale les occidentaux, ont fui le pays a la revolution. Ainsi, les gens "capables" de faire fonctionner les structures qui etaient existantes n'etaient plus la. Construire une nouvelle societe a partir de presque rien, ce n'est pas facile et ca a rate, clairement. La mondialisation intervient plus recemment, apres la chute de l'URSS et l'ouverture du Laos aux etrangers, ce qui ressent de plus en plus. Bien entendu, ce n'est pas l'amour du developpement intellectuel et l'ouverture culturelle qui motivent les etrangers a venir au Laos.
Tu as donc une education qui vise principalement a pouvoir travailler, au sein d'une societe (elargie par la mondialisation) qui a des demandes specifiques. Par exemple, parler anglais. On ne te demande pas de connaitre la culture anglophone, on te demande de parler et lire l'anglais , assez pour pouvoir communiquer. (Si j'etais encore plus cynique, je dirais pour pouvoir comprendre ce qu'on te dit...) Le gouvernement n'a ni les moyens ni le choix ni l'envie je pense de developper une quelconque emancipation personnelle, intellectuelle, culturelle. Et les etrangers non plus. Si le francais est present au Laos, c'est bien du au passe, et la encore, c'est un francais fonctionnel qui importe. Bien sur, les Laotiens vont aussi s'interesser a comment on vit en France, ou plus generalement dans les pays francophones. Mais de facon generale, je dirais qu'ils s'interessent a ce qu'ils connaissent chez eux, car alors ils peuvent comparer. Je crois qu'on ferait pareil naturellement. Or, ils ne lisent pas, et ils ne s'interessent que peu aux questions polemiques. Enfin, pour les question polemiques, c'est surement faux, je connais des laotiens qui ont des avis tres clairs et reflechis sur certaines questions ; cependant, ils n'en parlent que peu, parce que de toute facon, on ne leur demande pas leur avis. (Chez nous, les pays democratiques, on nous le demande mais on ne l'ecoute pas.) Je ne sais pas s'ils parlent entre eux de ces choses-la.
Je pense vraiment que le plus important a comprendre, c'est que leur education, ils ne l'ont pas choisi, elles ne vient pas d'eux, mais de nous, francais, europeens, occidentaux. Chez nous, d'une certaine facon, on a cree notre education a notre image, c'est la notre, c'est celle qu'on voulait et elle est adaptee a notre societe. (Ce, c'est la jolie version de notre education, mais c'est pas completement faux.) Eux, ca ne vient pas d'eux, ca ne vient pas d'un processus "naturel" pour eux, ils n'ont pas mis en place un systeme educatif parce qu'ils avaient envie de le faire : on a mis en place un systeme et une education pour eux. Et on continue. En particulier, cette education ne correspond pas a leur culture, a leurs aspirations. Ils ne la voient donc pas comme nous, parce que ca ne releve pas d'un sentiment personnel.