Et voilà. Trois années sont passées. J'ai enfin terminé mes études, il ne me reste plus qu'à décrire cette dernière année de thèse à coups de grains de sables.
On retrouve au début de la troisième année le même descriptif que dans les deux chapitres précédents : articles, groupes de travail, séminaire ... S'ajoute à cela l'appréhension d'une lourde épreuve à laquelle on se sait destiné, une épreuve dont nous parlent souvent nos aînés, il s'agit bien sûr de :
La rédaction
Tout ce travail accumulé au bout trois ans mérite bien d'être posé par écrit une fois pour toutes. L'objectif est donc de réaliser une carte rassemblant l'ensemble des domaines que vous avez parcouru et/ou découverts. Vous avez conscience que, bon, une carte d'un désert, ça n'intéresse qu'une dizaine de personnes sur 10000, et que parmi ses dix personnes, tout au plus une seule prendra la peine de vraiment observer votre carte en détail (et encore, un autre thésard probablement !). Mais, après toutes ces peines, n'est-il pas rassurant de se dire qu'on va réaliser une version définitive et complète de son travail? Une version que l'on pourra consulter plus tard en se disant : j'ai fait tout ça ! Et puis, il y aura bien sûr vos parents qui seront très fiers d'encadrer votre carte dans le salon ou dans l'entrée. Une fois cette première étape de motivation passée, vous vous mettez finalement au boulot.
Introduction, état de l'art, bibliographie
En plus de dessiner une carte un tant soit peu précise du désert (ce qui n'est déjà pas facile !), on vous demandera d'insérer celle-ci dans une carte beaucoup plus globale représentant tout le continent contenant le désert que vous étudiez. Comment ? Ce travail n'est pas le vôtre ? Il a déjà été fait ? Et bien, oui justement ! Il va vous falloir situer vos travaux et vos découvertes par rapport aux études précédentes. On ne vous demande bien sûr pas de les refaire, mais uniquement de les citer en mentionnant vaguement la mer que l'on retrouve à quelques milliers de kilomètres au nord, ainsi que la forêt tropicale qui, elle, se situe bien plus au sud. Indépendamment de la culture (et de la satisfaction personnelle et intemporelle) que ce travail vous apporte, il s'agit surtout de vérifier que de précédents travaux n'ont pas abordé vos thèmes de recherches, et que le petit village que vous avez fièrement découvert n'est pas déjà répertorié sur un précédent ouvrage. C'est aussi l'occasion de citer les cartes de collègues afin de montrer que vous maîtriser correctement la topologie, la géographie et même la faune de la région.
Le plan
Vous imaginez bien qu'au bout de deux ans et demi, le travail s'est accumulé. Vous avez réussi à répertorier un certain nombre de lieux, voire des régions inconnues, mais la plupart de ces découvertes siègent uniquement dans votre tête. Quand vous y pensez, vous avez une vision assez claire de ce que vous pouvez apporter à la communauté et vous commencez même à faire une ébauche de carte de temps en temps. Seulement, quand votre directeur vient vous voir et vous demande quel est votre plan de rédaction, ou encore, comment vous comptez agencer votre carte, des détails aussi ridicules que "où placer la légende?", "est-ce que la boussole est nécessaire?", "plutôt paysage, ou portrait?", "quel type de papier dois-je utiliser?" vous semblent insurmontables. Chaque fois que vous vous lancez, le résultat vous semble incohérent, illisible. Et les jours, semaines, mois, passent alors que vos entretiens avec votre "chef" se multiplient. Et la fatidique question : "Alors, ta rédaction, tu en es où ?" vous agace de plus en plus. Finalement, de brouillons en brouillons, vous aboutissez enfin à un patron qui vous semble potable. Mais là, l'enfer ne fait que débuter.
Les démos qui ne marchent plus et les millions de cas tests non rangés
Vous vous rendez compte qu'à plusieurs reprises vous avez manqué d'organisation. En fouillant dans les poches de la selle de votre dromadaire, vous tombez sur d'anciens fragments de carte que vous aviez dessinés il y a quelques mois, et vous n'y comprenez rien. Un certain nombre de ces fragments vous est totalement inconnu et il vous est impossible de vous souvenir ce qu'ils représentaient, vous vous résignez donc à les jeter, déçu de ne pas savoir qu'en faire. D'autres morceaux de cartes sont même parfois erronés ! Heureusement, pour certains fragments, vous vous souvenez vaguement du lieu dont il s'agit. Du coup, pas le choix, il faut reprendre votre fidèle dromadaire, pour retourner sur place, refaire l'état de lieu. Une fois arrivé, vous en arrivez même parfois à vous insulter, tant vous sentez que vous perdez que votre temps. En redessinant proprement la carte vous vous souvenez petit à petit des dunes et de la petite oasis que vous aviez découvertes, et vous vous demandez pourquoi vous n'avez pas dessiné clairement - une fois pour toute - tout cela !
Les relectures
Encore une étape passionnante de la rédaction ! Je l'écrivais quelques lignes plus haut : cette carte sera une version statique du travail que vous avez effectué pendant 3 ans. Un soupçon de perfectionnisme vous convainc alors qu'il faudra minimiser le nombres d'erreurs et de coquilles présentes sur le manuscrit final. À la première relecture vous découvrez avec surprise que vous êtes capables d'écrire des mots aussi moches que "Dézert", il faut dire que vous n'avez probablement jamais eu à écrire autant en si peu de temps. Parfois vous tombez (ou bien votre directeur de thèse vous fait remarquer) des coquilles un peu plus énormes. Donc, oui, ce lac n'était qu'un mirage. Au bout d'un certain nombre de modifications, pris par le temps, vous convenez d'une version finale avec votre directeur de thèse. Soulagement.
Les rapporteurs et les membres du jury
Pour tout un tas de raisons, il convient de désigner au moins deux rapporteurs chargés de lire attentivement votre carte. Par exemple, cela est censé vous éviter de vous rendre compte d'une grooooosse erreur le jour même de votre soutenance. À l'issu de leur lecture, les rapporteurs doivent vous déclarer apte (ou non) à présenter votre carte au Catalogue Central. Juger un travail de thèse n'est pas une chose facile. Il faut déjà bien connaître le désert et avoir lu/créé un certain nombre de cartes. Les rapporteurs sont donc en général d'éminents désertologues, de même que les membres du jury de votre soutenance. Après plusieurs semaines d'attente, vous recevez enfin vos rapports de thèses. Ils sont bons ! Vous pourrez soutenir !
La soutenance
Épreuve ultime. On vous demande pour finir de faire une présentation orale de votre carte. Pour l'occasion, vous dessinez une immense carte, sur laquelle vous omettez volontairement quelques détails afin qu'elle soit lisible rapidement. Une fois le lieu de la soutenance choisi (l'oasis Condorcet en l'occurrence), vous étendez votre grande carte entre deux palmiers et vous commencez votre présentation. La présentation de carte est un moment assez particulier puisqu'en général c'est une occasion à laquelle se retrouvent vos cercles professionnels, personnels et familiaux. Et puis voir vos parents, là, dans le désert, ce n'est tout de même pas habituel ! Après avoir parlé pendant 45 minutes, vous laissez la parole au jury, pour les questions. En vrac, voici le genre de remarques et questions que l'on pourra vous servir :
"Alors, tout d'abord, je dois dire que j'ai beaucoup apprécié cette carte, autant pour les couleurs retenues que pour les lieux explorés."
"Moi je voulais te demander si tu avais songé à représenter ta carte en inversant le Nord et le Sud ?" (vous répondrez généralement : "non, mais c'est une bonne idée de piste à explorer").
"Que voudrais-tu rajouter à ta carte si celle-ci devait s'étendre de 40km vers l'est ? Je sais bien que la recherche n'est pas un évènement prévisible, mais que penses-tu qu'il serait raisonnable de représenter?"
"Tu n'as pas du tout abordé la question du temps de parcours en dromadaire. Par exemple, combien te faut-il de temps, en dromadaire, pour aller de ton oasis au petit village ?"
Et ainsi de suite. La soutenance passée, le jury délibère et rejoint le reste de l'assemblée devant le festin que vous avez essayé tant bien que mal d'organiser (avec beaucoup d'aide, merci encore). Et puis ça y est, la carte est acceptée (avec mention !) et le pot peut commencer. Plusieurs de vos amis viennent vous voir et vous demander "ce que ça fait d'avoir fait une carte", question à laquelle vous répondez invariablement: "euh, rien".
Et après ?
Y aura-t-il une suite ? Est-ce que je vais continuer à explorer le désert ? Ces questions trouveront (en partie) leur réponse à la suite des candidatures. Mais je dois dire que tout de même, le désert, je m'y plais un peu quand même. Alors pour l'instant je me balade:
